Stade Boewa, un matin de décembre. Les équipes de football du Mont-Dore ont quitté la pelouse depuis un petit moment. Pas de spectateurs, ni le moindre joueur de pétanque à l’horizon dans le boulodrome derrière le stade. Le complexe de Boulari semble désert. Seul reste un homme qui enchaîne les tours de terrain, torse nu sous un soleil brûlant. Difficile d’imaginer que cet individu, aussi athlétique soit-il, fasse partie des meilleurs sportifs français. Le qualificatif n’est pas exagéré puisque, vérifications faites, il s’agit bien du licencié du CA Jules-Garnier Florian Geffrouais, multiple champion de France de décathlon, cinquième performeur national 2016, onzième de tous les temps, cinq participations aux championnats d’Europe… L’énumération s’arrête là et c’est bien le problème. Le CV ne comporte aucune référence mondiale ou olympique. « Vu mon profil et mon potentiel c’est clair que je ne suis pas allé aussi haut que je devrais », confirme le jeune homme de 28 ans qui accepte de prendre une pause à l’ombre d’une tribune pour se raconter. Son histoire, c’est celle d’un surdoué de l’athlétisme qui a enchaîné les galères.

Galères en série

Physiques d’abord. De la petite blessure à la cheville à la rupture du tendon pectoral gauche, « je soulevais de trop fortes charges ». Logistiques ensuite. « Pendant plusieurs années je m’entraînais ici sans perche digne de ce nom. Impensable pour un décathlonien. » Galères d’encadrement surtout. « Je n’ai jamais su bien m’entourer, j’ai trop été dans l’affectif. » C’est le moins qu’il puisse dire. De l’entraîneur qui lui promet la lune et ne lui donne plus de nouvelles pendant plusieurs mois, au coach qui l’abandonne alors qu’il a tout quitté pour être à ses côtés, en passant par le bon technicien mais mauvais préparateur physique ou l’inverse. « Avec tout ça, je me suis rarement senti serein dans un championnat important, je sentais que je n’étais pas totalement prêt. » Le dernier en date, c’était cette année à l’Euro d’Amsterdam. Il vise une qualification aux JO mais termine 18e. « J’étais épuisé physiquement, c’était trop près des championnats de France, je n’avais pas récupéré. » Une tuile de plus.

L’heure de la maturité

Mais Florian est toujours là. « C’est ça que je retiens. Je pourrais avoir laissé tomber depuis le temps que j’essaye d’arriver au sommet, que je fais des mauvais choix et que je m’en prends plein la tête. Mais je n’ai jamais renoncé et je ne m’en sors pas si mal. » Aidé d’un préparateur mental, Florian Geffrouais a pris de la maturité ces dernières années jusqu’à prendre une décision radicale. « Désormais, je ne veux plus avoir à me chercher d’excuses. C’est pourquoi j’ai choisi de prendre seul en main mon entraînement. J’écouterai les conseils mais je déciderai en dernier ressort sans être dépendant de quelqu’un. Si je me plante, je ne pourrai m’en prendre qu’à moi, il n’y aura pas de regret. » En espérant qu’il ne soit pas trop tard. « Je pense qu’il me reste mes quatre plus belles années d’athlète à vivre. Je ne veux pas passer à côté. » 

Cette saison, dont le point 

culminant sera le Mondial de Londres en août, semble commencer sous les meilleurs auspices pour Florian Geffrouais qui a réalisé il y a quelques jours à Nouméa la meilleure rentrée de sa carrière. Et la première de sa nouvelle vie qui doit le mener jusqu’au firmament olympique dans trois ans et demi à Tokyo. 

« En 2012, j’ai manqué Londres pour quelques centimètres et cette année c’est encore pour quelques points. Je pense que la troisième fois ce sera la bonne », promet Florian, qui reconnaît ne pas avoir pu allumer la télé en août pendant les Jeux de Rio et les exploits de son pote Kévin Mayer, vice-champion olympique. 

En 2020, il ne devrait donc même pas avoir besoin de télévision pour voir les JO.

Le décathlon est un ensemble de dix épreuves :  100 m, 400 m, 1500 m, 110 m haies, saut en longueur, saut en hauteur, lancer du poids, lancer du disque, lancer du javelot, saut à la perche.

Repères

En bref

Il est né le 5 décembre 1988 à Saint-Lô (Manche). Il mesure 1m86 pour 83 kg. Son record est de 8164 points et c’est le 11e total d'un décathlonien français.

Sa carrière en 4 dates

2010 : A 21 ans il remporte son premier titre de champion de France élites. La même année il franchit pour la première fois la barrière mythique des 8000 points avec 8057 points.

Il termine 16e de ses premiers championnats d'Europe.

2012 : Deuxième titre de champion de France et nouveau record personnel avec 8118 points. Manque les Jeux Olympiques de Londres pour 82 points.

2014 : Troisième titre national élites et record personnel avec 8164 points. 13e place aux championnats d'Europe.

2016 : Vice-champion de France avec 8073 points. 18e aux championnats d'Europe. Manque les Jeux Olympiques de Rio pour 77 points.

Geffrouais le Calédonien

Arrivé sur le Caillou en 2010, Florian Geffrouais ne se verrait le quitter pour rien au monde. « J'aime ma vie ici, j'aime la Calédonie et les Calédoniens », confie celui qui y a rencontré sa compagne. Après sa carrière, ce professeur d'EPS compte bien continuer à transmettre et entraîner. « Toutes les bêtises que j'ai pu faire ne pourront que servir mes athlètes pour savoir ce qu'il ne faut pas faire  (sourire) ».