Anne-Marie Buteri réfléchissait depuis plus de 20 ans à rendre hommage à ses grands-parents, colons Feillet du début du XXe siècle, pudiquement rebaptisés Clémence et Paul dans ce roman fait de « 20 % de fiction et de 80 % d’historique ».

« Les gens n’ont pas toujours une bonne idée de ce qu’a été la vie des colons », estime l’autrice, qui s’est plongée dans l’aussi précieux que volumineux journal tenu par sa grand-mère entre 1906 et 1947. « On pense qu’ils ont forcément fait beaucoup d’argent, qu’ils ont maltraité leurs employés. Mais il y avait aussi des gens bien, qui n’ont pas eu de chance dans la vie. »

Le destin est d’abord plutôt doux. Clémence est issue d’une lignée de militaires, Paul est le fils d’un propriétaire terrien charentais. Ils se fréquentent dans l’atmosphère feutrée de la bourgeoisie de Nouméa, puis s’installent sur la propriété de Tiwaka, où Paul, attiré par les promesses de fortune du gouverneur Feillet, ne ménage pas ses efforts. Il s’échine sur les 1 500 pieds de café, tente de mettre sur pied une exploitation de coprah. Les cyclones et les maladies des cultures seront deux adversaires impitoyables.

Cruelles réalités

L’agriculteur se heurte aussi aux difficultés d’approvisionnement sur la côte Est. Il reproche au gouverneur de favoriser ses amis placés près de Nouméa et de négliger le réseau routier qu’espèrent les Broussards, dépendant de ce tour de côte qui navigue cinq jours pour arriver à Poindimié. Feillet est carrément honni pour son opposition à l’arrivée de nouveaux bagnards, que les colons se verraient bien exploiter. En Calédonie comme aux Nouvelle-Hébrides - où ils ne trouveront pas meilleure fortune - l’horizon est borné par cette obsédante recherche de main-d’œuvre. Clémence fait preuve de compassion envers les ouvriers déracinés, quand d’autres envisagent les immigrés vietnamiens comme autant de marchandises à « se partager ».

Dans sa retranscription parfois très crue des mentalités de l’époque, Anne-Marie Butéri ne fait aucunement l’impasse sur le racisme tant envers les employés kanak qu’envers les boys néo-hébridais. « Les colons les embauchaient, les payaient. Il était facile pour certains de penser qu’ils étaient la race supérieure. J’y vois beaucoup d’incompréhension, un manque d’ouverture. Mes grands-parents, heureusement, ont su s’ouvrir un peu… » L’un à l’autre, pour commencer. Car l’amour qui unit Clémence et Paul est plus fort que toutes les mésaventures. Il domine le récit dès le coup de foudre sur les bancs de la cathédrale Saint-Joseph. Il transcende le quotidien de cette famille nombreuse. Et encore : comme souvent, la réalité dépasse la fiction. « Ils n’ont pas eu huit mais treize enfants », glisse Anne-Marie Butri.

Savoir +